vendredi 24 avril 2009

paradoxe

Mes voisins sont des gens charmants. Souvent ils m'invitent à manger quelque chose (je n'ai pas encore reconnu l'animal servi, à moins que cela soit du choux) toutes les semaines. C'est un beau couple, un couple qui a vieilli. Rien n'est plus beau au monde que ces couples qui durent, qui ont dépassé la passion, pour autre chose, une invention personnelle. Ces couples sont semblables aux bouilleurs de cru, qui produisent leur propre eau de vie, modestement, discrètement. Ils ont une recette, mais ils ne sauraient exactement la décrire. Elle tient à ce qu'ils sont, à de microscopiques inflexions, à des infinités d'attention sans éclat.
J'espère vivre cela un jour.
Pour l'instant, je me trouve à une époque de ma vie où j'aime mon célibat. Je suis heureux ainsi, équilibré et de bonne compagnie. Paradoxalement cet état ferait de moi un bon compagnon amoureux. Mais pourquoi choisirais-je le couple, alors que je mène une vie heureuse et satisfaisante ? Il me semble que l'on ne commence une histoire avec quelqu'un que lorsque l'on ne va pas très bien. On espère dans l'amour trouver l'apaisement, la douceur, le sens que l'on a pas, que l'on ne trouve pas seul. Nous aimons quand nous allons mal pour aller mieux, et trouver ce qui nous manque. Nos conflits intérieurs et notre mal-être rencontreront ceux de celle qui partage notre vie. C'est la raison de la complication des histoires d'amour. 
Un homme et une femme devraient sortir ensemble quand ils vont bien. Mais alors s'ils vont bien, pourquoi diable commenceraient-ils une relation ? Ils n'en ont pas besoin, pire : ils n'en ont pas spécialement envie. Il faudra attendre l'angoisse, la déprime, la peur.
L'amour est tout entier prisonnier de ce paradoxe.


Professeur Bada-Bing

mercredi 8 avril 2009

les conseils amicaux

Ce matin la brume recouvre les highlands. Je me suis installé au bord d'une des nombreuses rivières qui dévalent et irriguent la région. Je pêche le saumon avec une prodigieuse absence de succès. Mais ce temps de contemplation et de concentration est propice à mes recherches. Le cadre est idéal. L'eau fracasse les rochers, les pics verts et les mésanges chantent, l'air est frais, la lumière claire. Rien de tel que le début du printemps en terre écossaise.
Aujourd'hui je vais parler de ces amis qui nous conseillent quand nous sommes amoureux d'une femme.
Les amis ont un avis. Ils savent très bien comment vous devez agir. En général, moins ils sont psychologues et plus ils s'essayent à l'analyse et à la prospective psychologique, comme des manchots donnant des leçons de vol à un aigle convalescent.
On vous dira mille choses, on développera des théories. Aucun de vos amis ne sera d'accord et rapidement vous vous retrouvez au milieu d'un faisceau de recommandations contradictoires : l'appeler, ne pas l'appeler, lui toucher le visage, le dos, la taille, le plexus solaire, ne surtout pas la toucher, l'inviter au restaurant, partager le montant de l'addition.
La vérité est que tout le monde est perdu. Nous donnons les conseils qui nous semblent logiques, ceux qui ont permis notre relation avec telle femme. De notre expérience nous développons une théorie. C'est une erreur. Les femmes ne sont pas compréhensibles dans un système oeclidien. Acquérir des bases en mécaniques quantiques est la meilleur chose à faire. Tout en sachant (comme dans le cas archétype du chat de Schrödinger : si le chat est mort et vivant, de même une femme pourra vous aimer et ne pas vous aimer, souhaiter que vous l'embrassiez tout en vous repoussant si vous tentez de le faire, ne pas vous appeler alors qu'elle a envie de vous parler).
Il faut se faire une raison. Pour savoir si la femme que vous aimez et que vous fréquentez depuis quelques temps partage vos sentiments, un accélérateur de particules serait nécessaire et toute une équipe de chercheurs (dont un ou deux prix Nobel). Cela n'est pas envisageable. 
La compréhension des femmes n'est pas affaire d'intuition, ce n'est pas un art, aucun progrès n'est possible, aucune certitude n'est acquise.
Pour comprendre les femmes, il n'y a qu'une seule voie : il faut se comporter comme si on les comprenait. A partir de ce moment, magiquement, leur comportement à votre égard s'éclaire et cesse d'être érratique. 
Et si on désire les séduire : comme si on les comprenait mieux qu'elles-mêmes. 
 
Il faut dire un mot de ces amis qui vous présentent à une femme. Ils arrangent des coups (des couples), s'imaginent marieurs. Plusieurs remarques sont à faire à propos de ce comportement.
- un ami vous présente cette femme dont il vous a fait un portrait idyllique, car il est lui-même attiré par elle : il vivra l'histoire par procuration. Souvent vous remarquerez qu'il s'estimera même propriétaire de cet amour qu'il a initié. Il a arrangé cette rencontre pour éviter de tromper sa femme. Vous êtes le remplaçant.
- On présente quelqu'un à nos amis car l'on veut qu'ils cessent d'être célibataires. Leur liberté est un spectacle insoutenable. Leur célibat doit cesser car il nous fait regretter cette époque bénie. 
- Ce cas de figure est le moyen infaillible de connaître l'image que vos amis ont de vous. Le genre de femmes qu'ils croient vous correspondre vous révélera l'effroyable distance qui existe entre l'image que vous avez de vous-même et celle qu'ils ont de vous. c'est très souvent vexant. Si vous êtes un artiste, il y a toutes les chances pour que vos amis tiennent à vous présenter une femme hystérique, dépressive, qui fume trois paquets de cigarettes par jour, boit un demi-litre de whisky.  

La vérité est que les choses se font souterrainement. Dans la plupart des cas, nous nous retrouvons avec quelqu'un moins parce que nous l'avons voulu (ou qu'elle l'a voulu) que parce des éléments, comme des aimants et des pièces métalliques, ont fomenté notre attirance. Nous construisons une fable dans laquelle nous croyons que nous avons fait un choix, élaboré des stratégies et des tactiques de séduction. En fait, les jeux étaient faits. En amour, nous sommes comme ces enfants assis à côté de leur père dans la voiture, équipés d'un volant en plastique, mimant la conduite, tournant quand nous sentons la voiture tourner, appuyant sur une pédale imaginaire quand nous voulons freiner.

(à suivre, un saumon pointe ou bien est-ce une baleine?)